Phases de l'évolution artistique

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Introduction

Atelier dans Neubühl (Zurich), Ostbühlstr. 17 Sans entrer encore dans des considérations plus poussées d'histoire de l'art, nous présenterons dans un premier temps une esquisse globale de l'ensemble de son œuvre. La division en périodes se fait principalement sur des critères stylistiques contenus dans l'œuvre elle-même, et ne sont rapportés à des événements de la biographie de l'artiste que dans un second temps. Ce genre de peinture ne permet pas des séparations rigoureuses entre les différentes périodes; mais se référer à quelques dates-repères présente toutefois certains avantages, notamment si l'on veut faire des statistiques. Il existe naturellement des œuvres de transition: on remarque parfois des éléments nouveaux vers la fin d'une période, ou alors, au contraire, des éléments plus «anciens» apparaissent encore au début d'une nouvelle phase. Ce sont là des phénomènes courants de l'évolution artistique

Les critères qui permettent de séparer les différentes phases de création s'enracinent dans sa perception visuelle propre, dans sa manière de transposer sa vision en peinture, dans son habileté picturale et dans une qualité globale de sa peinture, souvent difficile à capter avec des mots. Les procédés techniques (le coup de pinceau, par exemple), le regard, la manière de présenter le sujet déterminent l'œuvre et créent son écriture propre, la patte du peintre. Cette «écriture» évolue constamment, de manière organique, portée par un mouvement continu, sans a priori intellectuel ni ruptures de style volontaires – exactement comme l'écriture d'un homme en pleine vitalité se transforme dans le courant de sa vie, exprimant sa disposition du moment et son stade de maturation. Sauf accident, un changement brutal de l'écriture ne pourrait survenir que par un travestissement de la personnalité. Vietinghoff ne s'y est jamais prêté.

Toutes les œuvres mentionnées sont visibles dans la galerie online, en haute résolution et souvent accompagnées d'une description du tableau.
 

Phases de l'évolution artistique

Pot et pinceaux Eclosion I 1917 - 1931
Eclosion II 1931 - 1945

Maturité I 1945 - 1952
Maturité II 1952 - 1969

Plénitude I 1969 - 1983
Plénitude II 1983 -1989

Les noms donnés à ces étapes ont été volontairement choisis pour porter une tonalité neutre; nous ne souhaitons pas préjuger de recherches scientifiques plus approfondies qui pourraient aboutir à des qualifications différentes, peut-être plus justifiées.
 

Eclosion I 1917 - 1931

Alexis (le frère) Quels sont les événements de la phase Eclosion I ?

Vietinghoff fit ses premières tentatives en peinture déjà dans son adolescence. Nous ne connaissons pas les résultats de ces expérimentations. Il a pu être encouragé par le fait qu'un de ses professeurs lui a acheté deux tableaux. En tout cas, le désir de plus en plus fort de s'adonner à une activité artistique ne l'abandonna plus jusqu'au jour où il quitta le gymnase, avant son baccalauréat. Il passa tout d'abord quelque temps chez un sculpteur, pour se rendre compte qu'il se sentait plus proche de la peinture. À côté des exercices ordinaires avec des bouteilles, des pots et des pommes, il reçut bientôt des commandes de portraits et fut à même d'exposer ses toutes premières réalisations.

On ignore comment il y arriva, en dépit de sa jeunesse, sans une réelle formation et sans véritable technique – était-ce à la faveur de sa propre initiative et de la qualité de son travail, grâce aux relations dans la haute société de ses parents ou à cause de son enthousiasme et de son charme propre?...
 

Nu assis aux bas retroussés Ukrainienne au sautoir
























Car des décennies plus tard les portes des galeries ne s'ouvrirent plus aussi facilement devant lui, alors même que son savoir-faire était beaucoup plus étendu. Un galeriste connu de Zurich le lui confia un jour en toute sincérité: Vos tableaux sont excellents mais je ne peux simplement pas me permettre d'exposer votre peinture et de mettre en danger ma renommée de galeriste international de peinture contemporaine. Phrase suivie d'une expression crue sur la puissance de la presse…
 

Mme K. Mezger, demi-nu assis Portrait Mary G.























La phase Eclosion I comprend la fin de la première guerre mondiale, son voyage aventureux à pied à travers l'Espagne et le Maroc, la naturalisation en Suisse (à Zurich) ainsi que ses séjours à Munich et à Capri. Après le déménagement à Paris il travailla beaucoup le dessin de nu, fit d'innombrables visites au Louvre, commença les expérimentations pour retrouver la technique oubliée oléo-résineuse, entreprit des travaux occasionnels pour des entreprises (peintures murales et photomontages publicitaires) – tout cela interrompu par des fêtes très arrosées à son atelier ou à celui de ses collègues peintres.

Durant son premier voyage en Italie il fit la connaissance de sa première femme, l'Italienne Marcella Chiaraviglio, qu'il épousa par la suite à Rome. Le décès de sa mère et la naissance de sa fille sont également des évènements personnels très importants de cette période.
 

Nu féminin, assis de face, le bras accoudé à une chaise Danseuse à genoux à gauche Voilà ce qu'il écrit lui-même sur ses débuts:

Le changement rapide des poses (des modèles de nus) m'obligeaient à appréhender d'un seul coup d'œil les formes et les rapports de grandeur – un exercice qui me fut très utile par la suite pour saisir instantanément l'essentiel d'un mouvement et le rendre en quelques traits au lieu de barbouiller le papier par des corrections répétées. Pour les portraits aussi je résolus de ne pas poser le moindre trait avant d'être convaincu que c'était le bon. Ce contrôle toujours renouvelé excluait des essais à l'aveugle et m'habitua à une manière de travailler disciplinée que j'appliquais également au travail de la couleur.
 

Oignons rouges et cafetière Quelles sont ses peintures de la phase Eclosion I ?

Dès le début, il numérote et enregistre ses tableaux achevés, à l'exception des œuvres qu'il a lui-même détruites, si bien que nous sommes étonnement bien renseignés. Pour une œuvre si vaste créée par un homme aussi prolifique que Vietinghoff, cela ne va pas de soi, mais est d'une grande utilité pour l'historien d'art et le gestionnaire de son œuvre posthume. La constitution d'une base de données, y compris l'insertion de compléments, la correction d'erreurs ou d'amalgames était toutefois une tâche de longue haleine. Lorsqu'on observe les premiers éléments de sa comptabilité, constituée a posteriori, on remarque d'emblée ses motifs préférés: portraits de jeunes filles de son invention et scènes figuratives. Mais on note aussi les difficultés qu'il avait à surmonter.
 

Guitare appuyée contre une chaise Demi-nu assis, de dos















1. Portrait de jeune fille (tempera sur carton), p. 1917. Vendu au Dr. F, professeur puis directeur du Freies Gymnasium Zürich.

2. Jeune fille qui danse et spectateurs dans la jungle (huile sur papier gélatiné), p. 1917. Exposé en 1917 à Lugano, non récupéré par la suite.

3. Motif oublié. Vendu en 1917 au Dr. F (comme 1).
 

Barques amarrées (Loctudy, Bretagne) Eperlans, tubes et coquetier















4. Petit portrait M. G. Peint en 1922 à Munich, exposé à la galerie Max Vautier à Düsseldorf, non récupéré par la suite.

4a. La reine de Saba, peint env. 1918 à Zurich, exposé au Kunsthaus [Zurich] en 1920, disparu à Paris durant la guerre.
 

Monsieur C. Campiche Nu assis appuyé sur une commode 5. Nature morte avec pot blanc, gouache, style cubiste. Peint en 1923 à Paris, vendu en 1923 à M. H.

5a. Portrait Alexis (tempera sur glacis résine, planche) [voir supra].
 

Expérimentation avec des couleurs et liants Barques dans le golfe de Naples Barques dans le golfe de Naples est la première peinture connue sous la forme d'une photo lors d'une vente aux enchères en 2015. Cette peinture aurait été réalisée lorsque Vietinghoff, âgé de 19/20 ans, a passé quelques mois à Capri et elle témoigne à la fois de sa sensibilité artistique et de ses compétences précoces d'autodidacte. Des réminiscences des vedutes italiennes sont indéniables. Les motifs comme Barques amarrées (Loctudy, Bretagne) ou Guitare appuyée contre une chaise sont des sujets affectionnés par les peintres français et espagnols vivant alors à Paris. D'autres motifs reflètent la vie simple mené par le jeune bohème: de la vaisselle sans ornement, un mobilier fruste, un journal à la place de la nappe, tubes de couleur à côté de la nourriture, jeunes femme vêtues et coiffées à la mode…

Il n'existe que 36 peintures appartenant à cette période. Si peu de tableaux en 13-14 ans? C'est vraisemblable si l'on songe qu'il voyagea à plusieurs reprises, parfois pendant longtemps, qu'il dessinait beaucoup, puis déménagea à Paris où il dut commencer par transformer et installer son atelier. En plus, il étudia pendant des jours et des jours les œuvres des Anciens Maîtres au Louvre, passa beaucoup de temps à faire des expérimentations avec les couleurs et jeta souvent ce qui ne le satisfaisait pas. C'était tout simplement les débuts!
 

Poivrons verts sur un journal Eléments stylistiques de la phase Eclosion I

Ses essais dans le cubisme à l'époque de ses débuts sont trop peu nombreux pour pouvoir parler d'une "phase cubiste" qui lui soit propre. À partir de 1923-24, Vietinghoff semble y renoncer. Lui-même parlait de ses velléités cubistes comme d'une "maladie d'enfance" surmontée, qui l'immunisa contre tous les différents mouvements picturaux de l'époque. Il s'en détourne et suit son propre chemin avec conséquence. Il n'existe malheureusement même pas de photos de ces tableaux cubistes.


Les premières photos conservées, en noir et blanc, montrent plutôt des exercices de dilettante qu'il ne considérait pas suffisamment aboutis pour être conservés, qui ont disparu durant la guerre ou qu'il a pu vendre. A part le tableau Barques dans le golfe de Naples, le portrait d'Alexis, son frère cadet, est le plus ancien conservé (1925? cf. supra, nr. 5a).
 

Pot à lait, encrier et pinceau Coupe de pommes















Dans Pot à lait et bouteille d'encre on reconnait l'effort évident de Vietinghoff de rendre de manière correcte la forme et les contours du pot, ainsi que de créer la plasticité des objets par les arrondis de l'assiette blanche et des pommes. Ce sont là encore des objets inanimés, pas encore touchés par la fantaisie artistique dormante. La représentation est sage, l'atmosphère est froide à neutre, on ne peut pas encore parler d'un style personnel.
 

Nu debout appuyé sur une chaise Ukrainienne au collier






















On le remarque clairement dans les compositions et les positions du corps, qui ont l'air d’être "arrangés". Les visages présentent souvent les larges paupières d'autres portraits de l'époque, les corps sont "sculptés" de manière remarquable, mais semblent tout de même quelque peu "académiques". On ne peut guère apercevoir sur ces photos l'effet naturel de la peau pour lequel il commence à être loué très tôt et qui lui amène quelques commandes de portraits. Seuls trois tableaux originaux nous sont conservés de cette époque: Portrait d'Alexis (1925?), Poivrons verts sur feuille de journal (1928) et Oignons rouges avec pot blanc (1931). Même si très simples, plutôt impersonnels et malgré leurs atmosphère neutre ces tableaux dégagent quelque chose de concentré et de sensible. Même s’il vend déjà des tableaux, il est cependant conscient du caractère d'exercice de ces travaux, ce que l'on comprend à la lecture de cette note: Portrait d'un certain M. Sch., instituteur. Peint env. 1929 à Paris, offerte à M. Sch. en remerciement de la pose.
 

Eclosion II 1931 - 1945

Bouquet printanier aux myosotis Quels sont les événements de la phase Eclosion II ?

La naissance de sa fille Jeanne en 1931 fait de lui pour la première fois un père heureux et lui donne de nouveaux espoirs pour sauver un mariage passionné mais difficile. Cette nouvelle impulsion se reflète dans ses œuvres. Malgré tout, quelques mois de séparation suivent en 1933. Par la suite, le couple cherche un nouveau commencement en quittant le Paris bien aimé. Par ailleurs, et à cause du flux de réfugiés en provenance de l'Allemagne nazie, il devenait difficile d'y trouver des gains supplémentaires, cependant indispensables.

Après une année passée à Majorque ils partent en Argentine, où, pour des raisons financières il travaille à Buenos Aires dans la fabrique d'un cousin de sa femme. Son travail artistique stagne à nouveau, il ne peut satisfaire aux besoins financiers de sa femme et ne trouve pas une issue commune pour sortir des crises conjugales répétées. Celles-ci épuisent ses forces et l'éloignent de son chemin artistique. Lors d'une nouvelle séparation, il loge quelque temps tout seul dans une cabane en rondins en Uruguay.
 

Chanteuse et auditoire Construction navale







A Majorque il souffre d'un dangereux empoisonnement dû à du poisson avarié et en Uruguay il subit, comme passager, un grave accident de voiture et une intoxication à la caféine. Après le retour à Zurich et Zollikon c'est le divorce – achevant la dislocation définitive du premier mariage – et, par conséquent, la perte de sa fille.

La mort de son frère et les soucis autour de son père vivant seul viennent s'ajouter à ce poids. E. de V. épouse en deuxième noces la Suissesse Heidi Howald. Durant la Seconde Guerre mondiale il est enrôlé pendant quelque temps dans l'armée suisse. Durant une séparation de sa seconde épouse, il trouve, la dernière année de cette période, son atelier au lotissement de Neubuehl dans le quartier Zurich-Wollishofen, où il travaillera jusqu'en 1989.
 

Environs de Zurich (Dietikon) Quelles sont les peintures de la phase Eclosion II ?

A Paris il se concentre sur des natures mortes et des portraits. A Majorque, en Uruguay et en Suisse il crée de nombreux paysages. En Amérique du Sud il réalise aussi des gravures et des dessins à la plume. Le premier tableau avec fleurs (Zinnias et gueules-de-loup) est connu seulement de l’année 1938.

Cette période voit aussi la création de quelques portraits de sa première femme Marcella, de sa fille Jeanne et jusqu'en 1945(!) même 16 portraits de sa femme Heidi, ainsi que la plupart de ses autoportraits. Il lui arrive d'échanger des paysages et des portraits contre des séjours de vacances dans les maisons de connaissances ou contre une facture de médecin.
 

Eperlans dans une assiette creuse de verre Eléments stylistiques de la phase Eclosion II

En 1932 il peint les premiers tableaux dont il est satisfait. Cela est visible dans le tableau Eperlans dans une assiette creuse de verre, qui offre une composition plus dense, plus centrée que dans les œuvres antérieures, avec une synthèse plus réussie des différentes couleurs. La peau n'est pas rendue écaille par écaille, l'impression globale est caractérisée par relativement peu de touches. En revanche, les nageoires caudales translucides sont peintes avec un grand soin porté aux touches extrêmement fines. Sa fantaisie, son courage de se détacher du rendu naturaliste, ainsi que la capacité de différencier les couleurs et les détails se sont largement déployés. La réalisation artistique dénote une nouvelle étape, même si on fait la comparaison avec des tableaux comme Poivrons verts sur feuille de journal (1928) et Oignons rouges avec pot blanc (1931) [voir supra]. Dans toutes ces compositions se poursuit son évolution allant vers les objets de la nature, observés dans leur tranquillité et leur simplicité.
 

Citron, coquilles d'oeuf et livre Pêches, poires et prunes














Un article de la Chicago Tribune Paris du 13.5.1932 témoigne de manière impressionnante de cette évolution. Alors même que l'auteur n'a pu voir que les tableaux des années précédentes, quelques nouveaux portraits et peut-être, parmi les natures mortes, les Eperlans dans une assiette creuse de verre déjà mentionné, un tableau avec des fruits de mer et ceux intitulés Pêches, poires et pruneaux et Citrons avec coquilles d’œuf et livre, son jugement est extrêmement positif et plein d'espoir. Compte tenu de ce qu'il ne pouvait connaître le déploiement de l'expression artistique de Vietinghoff durant les 55 ans à venir, il fait état de qualités prophétiques lorsqu'il nomme dans ce contexte Chardin, un des plus grands peintres de natures mortes et de tableaux de genre.
 

Uruguay I Marcella au voile (première épouse)












Mais l'élan des dernières années parisiennes ne dure pas: après le départ de Paris les expérimentations de technique picturale échouent à nouveau dans les années 1934/35 et une fois encore il est mécontent de son travail. Les 8 paysages d'Uruguay de 1936 semblent exprimer – peut-être grâce aussi aux sujets plus calmes, de grande étendue – un moment de repos parmi les tempêtes de sa vie: il vit reclus dans les bois au bord du Rio de la Plata.
 
     
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