La peinture transcendantale

La peinture transcendantale

Fraises Dans le domaine de la technique picturale, Egon de Vietinghoff est un autodidacte; sur le plan de la philosophie de la peinture, c'est un individualiste et un non-conformiste. Il redécouvre un savoir qui n'est enseigné ni dans les ouvrages didactiques, ni dans les académies. Mais il découvre aussi la conception transcendantale de certains grands maîtres et se réclame de leur tradition. Ce sont eux qui lui enseignent son art, qui lui servent de critères, ce sont eux qu'il vénère.

Il ne se contente pas de copier la nature avec plus ou moins de succès. Son regard est conduit par les rythmes de la lumière et les structures des couleurs qui, au-delà du sujet reproduit et reconnu, atteignent par le mystère de l'existence et de leur perception l'essence des choses.
 

Fraise inclinée (droite) Plutôt que de se consacrer à dépeindre leur surface ou à transmettre des messages intellectuels, il s'efforce d'atteindre le noyau spirituel des objets. Il rejette l'originalité d'une idée comme point de départ d'une œuvre d'art, en faveur d'une ouverture purement visuelle. Il ne reproduit pas, il fait partager ce qu'il voit au cœur de l'objet. Il transpose sur la toile la dynamique intime de la forme et de la couleur, des de l'ombre et de la lumière, dynamique née de sa concentration méditative.

Pour l'artiste de la peinture transcendantale, l'unique voie vers ce but est la perception de la couleur et de la lumière. Les tableaux de Vietinghoff ne racontent pas une histoire. Même les personnages dans des représentations scéniques ne servent qu’à stimuler sa fantaisie visuelle. Certes, on reconnaît les objets, mais ils ne sont rien d'autre que le résultat «involontaire» de l'immersion dans leurs couleurs.
 

Fraise (droite) Dans son manuscrit «Das Wesen der bildenden Kunst » (La Nature des Beaux-Arts), il définit ce qu'il appelle «Peinture Transcendantale» («Visionaere Malerei»): ce que l'œil perçoit, c'est le rythme de la forme et de la couleur, des clairs et des noirs. Pour cela, il faut supprimer toute association mentale avec l'objet et l'appréhender d'une façon abstraite.

Cette perception optique «non concrète» est indépendante de toute intention naturaliste ou anecdotique. (La méthode de la «contemplation pure» fait l'objet d'un chapitre séparé.)
 

Naturalisme : Margaretta Angelica Peale, Fraises (détail, 19ième siècle) La manière concrète d'observer les phénomènes, à savoir en se cramponnant anxieusement à ce qui est mesurable et en se contentant d'une approche purement descriptive, dépourvue de fantaisie, est qualifiée par Egon de Vietinghoff d'ennemie de la «peinture transcendantale» telle qu'il la définit dans le cadre de sa propre expérience. L'autre ennemie est la créativité éprise de sa propre originalité, qui confond fantaisie artistique et trouvailles intellectuelles.

En définitive, ce qu'un peintre adepte de la peinture transcendantale exprime sur une toile, ce n'est pas la dimension matérielle de l'objet, c.-à-d., p.ex., le nombre d'akènes de la fraise, la reproduction fidèle de sa taille.
 

Fraise (gauche) Il ne peint pas davantage l'image que l'on se fait de l'objet, telle que «une pomme est ronde, rouge et comestible» (ce qui peut être une opinion préconçue), ou encore «les objets qui paraissent petits sont placés en perspective derrière ceux qui semblent plus grands» (ce qui est le résultat reconnu de nombreuses expériences). Son regard transforme l'objet en une fusion de couleurs et de reflets de lumière influencée par les couleurs voisines et le fond. Et c'est ce qu‘il peint.

Devant ses yeux s'accomplit le jeu rythmique des multiples interactions des objets avec d'autres objets, avec la surface d'appui et avec le fond. C'est ce qu' Egon de Vietinghoff appelle le drame de la forme et de la couleur.
 

Chanterelles et trompettes-de-la-mort Selon l'avis de Vietinghoff, l'artiste, tandis qu'il observe un objet, fait abstraction de toutes ses expériences, de toute idée préconçue et de toutes les impressions dues aux autres sens. Sa contemplation reste strictement visuelle.

L'objet, ainsi pénétré par le regard, transcendé, transmué en un ensemble forme-couleur, fait naître la vision artistique.
 

Chanterelles Ces inlassables exercices visuels entraînent des expériences transcendantales, une vision de la nature des choses. Quotidiennement pratiqués sur les objets les plus simples, ils conduisent Vietinghoff dans les domaines de la métaphysique.

L'acte de peindre de cette façon permet à l'artiste de transmettre au spectateur, par la perception sensible, l'intuition de ce qui se cache derrière l'aspect des choses.
 

Trompettes-de-la-mort et chanterelle Par cette assiduité à pratiquer la «contemplation pure», Vietinghoff devient apte à accueillir sa dimension méditative. Selon sa définition, les choses vues au travers de la fantaisie perdent leur réalité concrète pour, par leur forme et leurs couleurs, apparaître à son regard spirituel comme un miracle qui lui ouvre un monde irrationnel.

Cette métamorphose de l'aspect extérieur en vision n'est rien d'autre que ce qu'on appelle l'acte artistique créateur. Dans quelle mesure cette métamorphose s'est opérée – si elle a réellement eu lieu – , voilà pour lui le seul critère acceptable de la valeur artistique d'une œuvre. A condition, évidemment, que le peintre possède une technique lui en permettant l'exécution.
 

Citrons Afin d’accéder à la perception transcendante, il tend vers un équilibre intérieur entre une concentration qui inclut la détente et un recueillement passif qui exclut la volonté. Vue sous cet angle, la discipline quil impose à son regard peut être comparée aux exercices méditatifs propres à différentes religions.

Ainsi, l'acte artistique est comparable pour Vietinghoff à la méditation religieuse. Celle-ci s'oriente directement vers les phénomènes métaphysiques, soit ceux de l'au-delà. En revanche, le recueillement artistique englobe le monde des sens, et pénètre le visible, le matériel. Un peintre de l'art transcendantale ressent et reconnaît la métaphysique du monde précisément par son évidence. La vision, en l'occurrence, est la caractéristique d'une œuvre d'art.
 

Naturalisme : Paintre autriche, Homard, bouteille et citron (vers 1890) La «contemplation pure» est la première étape du processus pictural transcendant. Le peintre s'absorbe dans la vision d'un objet et plonge ainsi dans le «drame de la forme, de la couleur et de la lumière», devenant une sorte de médium de l'expérience transcendante. Pendant le temps de cette «absence inspirée», il ne se ressent plus comme un créateur actif, mais comme un «outil exécutant». Il peint alors avec une telle précision, une telle rapidité aussi, qu'il ne prend qu'après coup conscience d'avoir agi sous une impulsion pour ainsi dire somnambulesque. Nous l'avons mentionné dans un autre chapitre: Il s'agit là d'un principe!

Que fait Egon de Vietinghoff en réalité? Il compare cela à une réception par radio: en appuyant sur un bouton, il déclenche la réception, en en manœuvrant un autre, il fixe son attention sur un poste émetteur et opère ainsi le choix d'un sujet. Pour atteindre la perception transcendante, il instaure un équilibre intérieur entre une relaxation attentive et une concentration passive. Dans ce sens, on peut comparer sa discipline visuelle aux exercices de concentration propres à différentes religions. P.ex., au zen: le tireur à l'arc doit supprimer volonté et pensée pour s'incarner dans le but, et alors la flèche part, mais ce n'est pas lui, effectivement, qui a tiré.
 

zeste du citron Chaque heure vouée à l'inspiration prouve à l'artiste que l'accès à l'absolu est possible et chaque heure infructueuse lui montre que celui-ci échappe à l'intervention de la raison. (Egon de Vietinghoff)

L'artiste ne peut intervenir par la contrainte, mais il peut s'ouvrir à la vision, créer pour cela les conditions favorables. Les moyens existent: Egon de Vietinghoff les énonce dans «L'école de la contemplation pure» («Die Schule reinen Schauens«»).